L’entreprise doit-elle avoir une vie publique ?
La question n’est pas innocente, surtout lorsque la tempête se lève et que media et réseaux sociaux se chargent d’en assurer la chronique au quotidien.
Selon la tradition européenne, l’entreprise n’a pas vocation à faire parler d’elle à l’extérieur de son champ d’activité propre. Elle doit rester discrète, s’occuper de ses clients, son personnel, ses actionnaires, et les satisfaire si possible. Un point, c’est tout.
L’exemple type est Michelin. Cette société « historique » et rapidement internationale, connue pour la qualité de ses produits et son innovation, était aussi la plus secrète, transformant ses usines en bunkers, afin de maintenir autour de Bibendum une atmosphère de mystère. Pionnière dans le service aux automobilistes, Michelin n’avait de manifestations extérieures que le fameux bonhomme en caoutchouc, les bornes kilométriques et le Guide des meilleurs restaurants. François Michelin, affichait d’ailleurs, si l’on ose dire, une volonté presque maladive de ne pas gaspiller. Il recevait ses visiteurs dans une petite pièce sombre et pauvrement meublée - des chaises dépareillées, un bureau miteux – afin de prouver de façon ostensible, jusque dans les détails, son souci de l’économie.
C’est le même François Michelin qui avait coutume de distinguer « mémoire courte et mémoire longue ». La mémoire courte, selon lui, c’est l’image qui imprime immédiatement la rétine lors d’un événement. Qu’il s’agisse d’un succès en Formule 1, des pneus de la navette spatiale ou d’un plan de licenciement portant sur plusieurs milliers de personnes, comme cela se produisit en 2001 sous l’œil d’ailleurs impavide de Lionel Jospin. Les gazettes en font leurs titres, mais l’Histoire finalement ne s’y attardera pas. Certes, les images successives construisent le film de Michelin, mais il y faut du temps, presque un scénario, qui sera fondamentalement empreint des valeurs incarnées par la firme et les fondateurs d’un empire familial. C’est ce patrimoine qui constitue la mémoire longue, et c’est cela qui crée de la valeur, de la réputation.
Car il n’y pas de réputation sans histoire.
Alors que l’on parle d’une France industrielle piteuse dont les fleurons se limiteraient à Airbus et au TGV, on oublie une peu facilement ces entreprises centenaires, souvent familiales, qui traversent les crises à condition que l’autorité du moment laisse ses gouvernants faire leur métier.
Alors aussi que le pouvoir redécouvre les vertus du libéralisme, sans enthousiasme, il n’est pas inutile d’observer les performances de ces entreprises dont la réputation est le fondement de leur patrimoine.
En 2010, l’Observatoire de la réputation a établi la liste courte des 10 entreprises françaises ayant la meilleure réputation, avec en tête du hit-parade, Air Liquide et Essilor, suivie de près par Danone, LVMH, L’Oréal, Michelin, Lafarge, Pernod-Ricard, Saint-Gobain et Technip. Régulièrement, l’Observatoire compare les performances boursières moyennes de ces sociétés (Reputation index), à celles de l’indice CAC 40. Bonne surprise et récompense pour ceux qui considèrent la réputation comme un gage de succès : de 2010 à ce jour, le Reputation index a progressé de 31%, lorsque le CAC 40 plonge de 15%. Et la société la plus performante sur cette période est une « industrielle » : Michelin, avec 74% !
Comme quoi, il ne doit pas y avoir que des « canards boiteux » dans notre industrie, même automobile.
Pino, le routard